lundi 11 mars 2013

La vieille flûte


Chez lui, c'est propre et ça sent le vieux bois, comme dans toutes les maisons anciennes qui ne vivent plus vraiment. Le bruit que fait son fauteuil à bascule égraine les heures et rappelle un compte à rebours funeste signifiant au vieil homme que quelque chose n'en a pas fini avec lui.
Quand on lui demande de leur jouer un petit air de flute il refuse poliment, prétextant que ses vieux doigts fatigués seraient incapable de quoique ce soit aujourd'hui. On n'insiste pas, reprenant là où on s'est arrêté dans la conversation et on oublie vite ce refus amical, ainsi que cette demande qui n'avait de toute façon pour but que de faire passer le temps.
Parce qu'il est vraiment vieux, et parce qu'il est ici depuis longtemps, et qu'il a vu naitre probablement tous les adultes qui vivent aussi ici d'aujourd'hui, il reçoit fréquemment la visite imprévue, le dimanche, aux alentours de seize heure trente, d'une famille charitable accompagnée de leurs enfants si charmants, tenant dans leurs petites mains maladroites une tarte ou de beaux fruits. Quand la petite famille volontaire (au village, ils le font chacun leur tour) frappe à sa porte il est admis qu'ils n'attendent pas que le vieil homme prenne la peine de se lever. Ils ouvrent la porte et entrent en prenant soin d'annoncer bruyamment leur arrivée. Ils saluent systématiquement la moindre occupation, ou absence d'occupation, à laquelle était en train de s'adonner le vieil homme. Comme s'il s'agissait d'une activité de la plus haute importance et qu'il avait bien de la chance de faire exactement ça, alors que eux – semblent-il regretter amèrement – font autre chose de leurs journées.
Ils entrent dans le salon, lui s'interrompant poliment, ou ne s'interrompant pas du tout puisqu'il n'était occupé à rien, et investissent l'endroit ostensiblement; forts de leur pitié de personnes actives dans l'existence qui décide de partager par sollicitude exacerbée un peu de leur activité avec les plus démunis qui n'ont plus la force de bouger eux. C'est la raison pour laquelle les gens qui viennent s'accompagnent souvent d'enfants. Des leurs, ou bien, s'ils n'en ont pas (par bonheur), d'enfants des autres.
On tient à ce que le vieil homme qu'on a toujours connu seul voit un peu, de ses propres yeux qu'il a très bon encore, l'Avenir du monde gambader dans son salon. Pour lui donner le goût de continuer encore un peu. Souvent alors, comme un petit rituel, lorsque les enfants s'approchent pour lui donner les mets qu'ils ont apporté, le vieil homme se penche vers eux, arrêtant son fauteuil à bascule qui pendant un instant n'émet plus le moindre son. Et pendant ce court instant où le temps s'est arrêté, il leur dit "tu sais, quand j'étais un peu plus grand que toi, je jouais de la flûte  et j'en jouais très bien. Tant et si bien que je passais de village en village pour jouer de ma flûte  Et les gens adoraient ça. Et les enfants aussi… les enfants comme toi". L'enfant sourit et se met à courir pour occuper l'espace du salon, espace que jamais personne n'occupe de toute façon, avec ses chaussures un peu sales.
Le vieil homme écoute poliment les monologues monotones de ses invités pendant qu'il réimprime un mouvement à son fauteuil et que le temps repart.

Il semble attendre quelque chose qui ne vient pas remarquent-ils, alors qu'ils cherchent à lui faire la conversation. Comme tous les vieillards sans doute. Pas la mort forcement, mais plutôt une sorte corne de brume qui sonneraient au loin et qui annoncerait enfin l'heure de la Justice.
Certains vieillards semblent attendre d'entendre cette corne plus que tout, et c'est pour cela que, pressés par une justice qui se fait attendre, ceux qui ont vécus juste un peu trop longtemps donnent l'impression de n'écouter leurs interlocuteurs qu'à moitié. Portant leur regard toujours plus loin que les quatre murs de leur petite maison. Parce qu'ils attendent l'heure de la justice. De leur justice dont ils savent qu'ils n'y échapperont pas.
C'est toujours cela plus que la mort que les vieillards attendent. Ceux qui ont vécu un peu trop longtemps où qui ont fait un peu trop, il y a longtemps.

Le vieil homme écoute d'une oreille distraire les nouvelles qui viennent du village. Il est interrompu dans ses songes par l'homme qui lui fait remarquer que c'est vrai qu'elle est bien jolie cette flûte accrochée au mur, et que c'est dommage qu'elle ne serve plus. Le vieil homme sourit un peu et, pour le rassurer, lui dit qu'elle a bien servit autrefois et que non, il ne peut plus en jouer aujourd'hui comme avant. 
Il précise que c'est une flûte enchantée, parce qu'il sait que tout adulte qu'ils soient, même les parents aiment les histoires. Et qu'autrefois, lorsqu'il était jeune et plein de fougue il jouait pour débarrasser les villages de la vermine qu'il hypnotisait au son de sa flûte  Et que sa méthode consistait à faire danser la vermine et lui faire prendre la route, jusqu'à un fleuve où dans sa fièvre, la vermine, quel qu'elle soit, finissait par se noyer. La vermine quel qu'elle soit. Il faisait cela quand il était jeune et plein de fougue. Et de colère aussi.
Il se souvient encore secrètement de tous ces enfants qu'il a noyés une fois, dans un fleuve, parce que dans un village on ne l'avait pas rémunéré pour son travail. Des centaines d'enfant qui se sont mis à danser en pleine nuit, sortant de leur lit, à danser inexplicablement dans le plus grand secret. Chaque enfant, dansant en silence sortant de chez lui sans réveiller papa et maman qui sont endormis, d'un sommeil profond et juste alors qu'une autre justice est en train de s'emparer de leurs enfants.
Chaque enfant sortait puis rejoignait le cortège du joueur de flûte qui sillonnait toutes les rues du village parce qu'il était revenu en pleine nuit en jouant de sa flûte enchantée. On ne put entendre cette nuit-là que le son délicat d'une flûte lointaine s'éloigner du village de parents endormis, emportant avec lui les enfants qui dansaient fiévreusement en silence.
Il se souvient qu'à cette époque il était jeune et plein de fougue. Et que c'est cette fougue qui lui permettait de jouer si bien de sa flûte. Mais de cette fougue il ne lui reste plus rien aujourd'hui. De cette ivresse non plus d'ailleurs.  Et que c'est pour cela que non il ne rejouera probablement plus de cette flûte.

Quand est-ce qu'il a arrêté de jouer lui demande-t-on. Il répond qu'il ne se souvient plus trop. Que petit à petit, ce genre d'activité n'amuse plus les grandes personnes. Il répond qu'il ne sait pas. Que c'est venu comme ça. Sans s'en rendre compte, suppose-t-il. Et que de toute façon il est trop vieux pour se souvenir. Qu'il est fatigué.

Il écoute le lointain. N'entend plus qu'on lui parle. Attend de voir quand s'élèvera le son la corne de brume. Pour pouvoir enfin mourir. 

mardi 14 septembre 2010

... ces étoiles qui tombent du ciel

... ceux qui n'ont pas connu Verdun peuvent maintenant s'imaginer ce que c'est.
J'écoute actuellement Schubert. Et dehors c'est l'hécatombe.  Les explosions nous rappellent à un instinct animal qu'on pensait disparu.
Le 14 juillet.
Son traditionnel feu d'artifice.
Ses "Hooo...", ses "Haaa..." et les vendeurs de chichis qui n'ont d'ailleurs rien à foutre là, si l'on y pense bien...
On se sent un peu comme un cheval. Une lumière très intense gagne tout le ciel.
On voit son voisin pendant au moins quatre seconde.
Pas de pudeur ce soir. On le regarde.
D'ailleurs, il nous a vu. Il comprend.
Pour ce soir...
Explosion
Que fais-tu, toi, ce soir?
Tu as essayé de te trouver une place vers le sempiternel point de ralliement...?
Le pont Neuf.
Sans blague...
Explosion
Avec sa musique de merde et le vendeur de ballons gonflés à l'hélium, d'une superbe couleur argenté.
Pas du tout kitch.

Explosion.
Je me pose des questions.
Tout de même.
Un feu d'artifice, je veux bien... mais là...
J'allume ma vieille radio. Un vieux poste à galène qui lui seul peu retransmettre l'information telquel. Et dans le silence de l'obscurité de la pièce j'écoute les nouvelles...
Tout est noir pour ne pas qu'on me repère. Je ne veux pas que l'on sache que j'écoute la radio pour savoir ce qui se passe dehors.
J'apprends à l'instant que le feu d'artifice s'est arrêté il y a une vingtaine de minutes. Ce que j'entends là est le vrombissement des canons.
C'est bien ce qu'il me semblait.

Explosion

J'apprends qu'au champs de mars tout le monde a été décimé.
On est rentré dans paris.
Qui?... je ne le sais pas. J'essaie de savoir mais les informations m'arrivent par petit bout.
Explosion
Quelqu'un est sur place. Sous des cadavres, apparemment. il parle tout doucement pour ne pas se faire entendre.
Je vois encore le ciel s'illuminer. Et ceux qui assistent au feu d'artifice de chez eux exprime leurs euphorie.
C'est parce qu'ils n'ont pas allumé leur radio, comme moi. Ils ne savent pas ce qui se passe.
Je décide de rester dans le noir de mon appartement... tant que personne ne sais que j'écoute la radio pour savoir, tout va bien...

Explosion.

Je suis le seul, semble-t-il.
J'entends de part et d'autre quelques exclamations.
Des  enfants s'amuse de tout ce bruit.
Certains ont peur.
j'entends une voie que je n'avais jamais entendu leur dire, à ces enfants, de ne pas s'inquiéter. Que ce qui se passe maintenant est pour le bien de l'humanité...
Les enfant ne comprennent pas mais je vois que les adultes ont disparu des fenêtres, les laissant seuls.
Dans l'immeuble d'en face, plus aucun adulte. Et des enfants ivres de cette toute nouvelle solitude.
Qu'est-ce que ça veut dire?
D'un coup le ciel s'enflamme comme jamais.

Explosion.

Une détonation si forte et si puissante qu'elle me fait sursauter.
On frappe aux portes.
On demande s'il y a quelqu'un. On veut savoir si une personne se trouve ici, qui aurait dû être au champs de mars pour les festivités.
La même voie singulière de tout à l'heure que je n'ai jamais entendu.
Explosion...

On frappe à ma porte...
Le journaliste sur place, là-bas, ne parles plus depuis une dizaine de minutes.
Je ne sais pas qui a marché sur paris, mais ils marchent actuellement dans la cours de mon immeuble et montent les marches de mon escalier...
On frappe de nouveau. On cris au travers la porte. La mienne.
Je pense qu'ils ont entendu mon vieux poste à galène.
Ils savent que je sais...
Je pense qu'ils ne vont pas tarder à enfoncer la porte...
Je devrais sans tarder fou...




journal de Mr ... , laissé un 14 juillet 20...

lundi 26 avril 2010

Cultiver l'Amour

...Pour certains, l'Amour et le Savoir ont en commun qu'il peuvent nous élever ou nous flatter.

NickTronik (lien)

mercredi 21 avril 2010

Le matin

... le matin, quand on ne veut pas se lever.
S'il est trop tôt pour boire un verre, au moins il n'est pas trop tôt pour y penser ...

Dr Cox.

lundi 12 avril 2010

Trois ans, six mois, six jours... et une belle matinée.



Le soleil a depuis quelques heures cette délicate chaleur d'un très beau samedi matin.
De ces matinées d'avril qui donnent envie de prolonger un peu certains instants qui d'habitude filent entre nos doigts, à regret.

Gérard est déjà levé.
Dans son sommeil déjà, un peu avant de se réveiller, il a eu envie de faire le petit déjeuner pour deux. Cela fait bien longtemps... Il s'est donc levé. Sans bruit, pour ne réveiller personne. Le lit est encore chaud. Un lit d'amour. Plein d'un amour qui dort.

Il est devant l'évier, le regard dans le vide. Aujourd'hui il semble que rien ne puisse lui ôter son envie de vivre et de dire au monde qui ne la connaitrait pas encore « je vous présente Lucie, ma femme ». A son ton, on comprendrait aujourd'hui que cette phrase sonne comme une loi vindicative. Presque menaçante pour ceux qui doutent d'aimer quelqu'un.

Les toasts sont dans le grille-pain. Il sait encore, malgré le temps qui a passé, à quel moment exactement les retirer pour qu'ils soient parfaitement dorés. Comme elle les aime. Ni l'un ni l'autre n'ont jamais pensé après dix ans de vie commune à régler le thermostat du grille-pain pour avoir la cuisson idéale. Gérard s'est toujours si bien débrouillé qu'aucun d'eux n'en a éprouvé l'utilité.

Cela fait quelques années qu'ils ne vont plus au marché situé à une centaine de mètres, le week-end pour prendre du lait de ferme. Elle l'aime pourtant beaucoup (il a toujours supposé que la raison se trouve être dans son enfance. Son père était fermier).

Il sort de sa torpeur.
Gérard pense à on ne sait quoi. Plus il lui prend l'envie d'être heureux, par moment, plus il est absent. Comme ces gens qui fuient une réalité qui a tourné au vinaigre.

Il sort le lait d'une marque inconnue de son réfrigérateur. Un lait demi-écrémé parfaitement quelconque. Et cela aussi, d'ailleurs, lui donne envie de s'évader. Il a posé la casserole sur le feu. Il ajoutera à la fin de la cuisson un peu de cannelle dans le chocolat. Il aime ça depuis qu'elle lui a fait goûter.

Cela fait plusieurs année qu'il n'a pas fait le petit-déjeuner en attendant que Lucie se réveille. La vie nous fait perdre parfois les plus belle habitudes du monde. C'est à cela qu'il pense parfois, longtemps.

Il écoute le silence de son appartement et croit distinguer derrière chaque bruit de la rue le souffle paisible d'une respiration. Lorsqu'il passe devant la fenêtre, la rue semble partager le bonheur qui lui est passé derrière les yeux toute le matin. Comme une sorte de brouillard diffus. Un bonheur inextricablement mêlé de regret.

De rancœur, aussi.

Il entre dans le salon pour déposer le plateau devant le fauteuil de Lucie.
Comme pour conjurer le sort, il veut en faire un tout petit peu plus. Il décide d'aller dans la salle de bain et de grimper sur une chaise. La seule façon d'accéder par la fenêtre au balcon du voisin qui, lui, a toujours de magnifiques fleurs, presque à toute période de l'année. Il coupe la plus belle qui est à sa portée non sans prendre quelques risques un peu insensés. Et puis ses os ont une bonne quarantaine d'années maintenant, il n'a plus la souplesse qu'elle lui a connu lorsqu'ils étaient plus jeunes.
Il espère comme il l'a déjà espéré ne pas s'être fait voir par son voisin, un petit jeune d'à peine trente ans. De quoi aurait-il l'air?

Un peu essoufflé il dépose la fleur dont il ignore le nom sur le plateau. Voilà. Il fallait au moins cela pour aller au bout de son envie. Les tartines sont chaudes, le beurre fond dessus. Le chocolat est dans le bol. Un soupçon de cannelle flottant à la surface.

Il n'a plus de confiture. Elle aimait ça, pourtant.

Il s'assoit à côté, encore un peu essoufflé. Son regard voyage sur le plateau. Sur le pain,... dans les volutes de fumée que produit le chocolat chaud fait d'un lait médiocre. Une cannelle probablement éventée et une fleur qu'il entend se faner à chaque seconde.
Et son regard va plus loin. On ne sait où...

Il se met délicatement à pleurer.

Le lit est froid. Les bruits de la rue ne cachent rien d'autre que d'autres bruits de la rue. Et dans l'appartement baigné par ce délicat soleil d'avril, on entend un homme qui pleure devant le petit déjeuner parfait qui refroidi.

Il tient l'alliance qui est à son doigt de l'autre main, pour assurer au monde que non, il ne la lâchera pas comme ça. Que non, parfois ce n'est pas juste.

Et lorsque quelques uns de ses amis sincères lui suggèrent avec pudeur d'ôter un jour cette bague, il devient amer.
Et d'une colère contenue il leur dit que non. Pas encore.

vendredi 19 mars 2010

Les entans prêcheurs

C'est l'histoire d'un prêcheur. Un prêcheur de la bonne parole, la parole de l'amour...
Pour son plus grand désespoir, il se rendis compte qu'il n'y avait plus rien à prêcher depuis longtemps... puisqu'il n'y avait plus d'amour depuis longtemps.

c'est l'histoire qui va suivre, et sa suite... et peut-être sa fin si l'amour ne revient pas.


Au début, il fut perdu par la tâche qui lui incombait.

Il y a longtemps déjà que son périple a commencé, mais en ces temps et en ces lieux, le temps lui même n'a plus d'importance – en supposant qu'il en ait eu un jour.

Il avait donc vu plusieurs contrées nouvelles ou anciennes, plusieurs peuples très différents ou plusieurs sortes d'habitants qui vivaient tous, pourtant, dans le même monde. Tous si différents. Si différents... comme les lieux qu'ils occupaient.

Il était dans ce monde, où le prêcheur devait accomplir sa tâche, une diversité et une singularité qu'il n'était pas ailleurs. Et le prêcheur n'en fut que plus désemparé.

Dans les premiers temps de son arrivée il fut conquis par le calme de ces lieux. En tout endroit, en toute chose il semblait qu'une sagesse sombre avait aboutie après une longue, très longue réflexion. Il y avait là-bas une sérénité quelque peu malsaine qui 'était était reposant. Comme si elle servait à cacher quelque chose... une tristesse si grande qu'elle ne peut plus être exprimée par les hommes, peut-être.

En un temps de grande marche vers il ne voyait où, il fut surpris de croiser l'Envie, la Tentation, qui avait pris soin, sans s'en cacher, de prendre forme humaine pour la circonstance. Une adorable petite fille dont le regard traillissait l'expérience.

"- Bonjour petite fille. Que fais-tu là, toute seule?

- Je n'ai personne pour jouer avec moi."

Des larmes s'échappaient de sa voie.

"- Pourquoi, qui es-tu?

- Quelqu'un de très seul. Ici, je ne peux pas agir, car, après tout, je n'existe que parce qu'on m'a inventé.

- Et on pas besoin de toi, ici?

- Non. Pourtant... le monde n'en serait que plus distrayant. Trouvez-vous réponse dans votre quête?

- Non, mais je n'ai croisé que peu de monde. Il me reste encore de l'espoir...

Son visage s'assombrissait :

- ... l'espoir est tous ce qui reste aux jeunes sots qui n'ont plus rien."


"- Sachez, monsieur, que d'ici la fin de cette route, il ne vous restera que le plaisir – que dis-je, l'espoir de me retrouver, lorsque vous n'aurez définitivement plus rien, pour que je vous donne quelque chose à mettre dans votre tête...

- N'en fais pas une parole petite fille, les sots ne se rendent jamais compte du malheur qui les gagne...

- Vous en êtes la preuve mon pauvre ami... vous vous apprêtez à devenir orphelin de tout songe susceptible, ici, de vous faire progresser.

- Il y a toujours à faire. Partout... Moi, j'apporte le bonheur et je l'invente grâce à rien. Grâce à moi-même..."

Le jeune fille s'évapora dans le noire profond qu'était devenu ses yeux.

" Petite fille?!..." Et au loin:

" ... Vous vous perdrez tellement vous-même que vous accourrez à moi pour que je vous dise qui vous êtes...

- Pourquoi vous?!...

- Parce que je suis la seule personne qui sache encore ce qu'elle est ici-bas..."


Pauvre... l'homme se tût là. Il n'avait plus de mot. Pauvre était le dernier qui lui restait, là, maintenant. Pauvre... ce monde est tant chaviré qu'il semble que l'Envie en soit la reine. Faut-il que plus personne ne représente rien pour que le visage d'une enfant soit la personnification de pareilles calomnies? Moi qui espérais trouver un visage semblable pour représenter ma première victoire... (il regarde au loin) Même les arbres n'ont plus de feuilles...


Il continua son chemin et ne tarda pas à gêner le regard d'un jeune penseur, assis sur le bord du chemin.

"- À quoi penses-tu, jeune garçon?

- Je penses que ce monde est bien triste...

- Pourquoi?

- J'ai vu un arbre qui semblait avoir perdu une branche. J'ai proposé de la lui remettre mais il m'a dis que c'était fait et que s'était trop tard, qu'il ne fallait pas aller contre les éléments pour ne pas créer d'erreurs. C'est bien triste...

- Tu veux que je te parle de l'Amour et de la joie de vivre? C'est ma quête...

- Non.

- Non?... Pourquoi?

- parce que ta quête ne correspond pas à une loi universelle. Elle n'a pas une place définie dans la chaîne des lois primordiales, ou encore dans le grand livre des cent-milles lois, quelque part. Elle sera donc source de malheur...

- Mais c'est important quand-même!...

- Pas autant que de ne pas remettre une branche cassée à l'arbre qui ne la désire plus.

- Mais tu réparerais l'arbre...

- ... Mais à quel prix?..."

L'enfant se leva et se mit à courir dans le champs qui bordait un côté du chemin, faussement joyeux.

Un nuage passa par là, l'enfant monta dessus et disparu avec lui dans les airs.

L'homme commençait à penser qu'il ne connaissait rien à la vie, puis il se dit que si, mais que ce monde était très différent... puis, il se dit que, peut-être, l'amour ne sert à rien ici. Que c'est peine perdue tant que l'on ne comprend pas le monde qui nous entoure. Il se dit également que, de toute façon, l'amour n'aurait pas sa place et ne servirait pas. Il se dit qu'il était ici dans le seul monde de sa connaissance où l'amour n'est rien, et ne servirait à rien, quand bien même il y en aurai à perte de vue. Il se dit qu'il vaudrait mieux une éponge pour ôter les mauvais souvenirs de ces enfants dont l'expérience leur a trop appris, et trop vite, il semble. Une éponge capable d'absorber toute cette expérience, aussi profitable qu'elle pourrait être pour l'avenir. Puis il pensa que de toute façon, il semble qu'ici il n'y avait pas d'avenir.


Un long, un très long présent.


L'homme, devenu la ressource d'un grand doute, continua son chemin. Il commençait à baisser la tête.


Plus loin, alors que derrière lui il n'y avait plus trace de son passage et de ses interlocuteurs, il vit un morceau de papier qui menaçait d'être emporter par un léger vent. Il disait ceci:

"Regarde..."

Il leva les yeux et vit une pancarte sur le bord du chemin. Il y était écrit "Presque-fin".

Il relit ces mots dans sa tête. Il se les dit. "Presque-fin". Il pensa tout haut:

" C'est la "presque-fin", mais pas la fin..."

Une voie s'éleva derrière lui.

"Pourquoi t'obstiner, monsieur?"

Le prêcheur se retourna et vit un petit garçon qui lui était inconnu:

"- Qui es-tu?...

- Un petit garçon, et je te demande pourquoi tu t'obstines, monsieur? Ici, ça ne sert à rien...

- Ça ne sert à rien parce que personne n'a essayé...

- Tu prêche quoi?...

- L'amour. Mais comment sais-tu...?

- Moi, quand j'avais ton age, j'ai prêché la joie... tu as vu un enfant tout à l'heur. Il prêchait le pouvoir de penser, avant... Nous avons tous été comme toi, à croire que l'on pouvait répandre une parole qui, ici, hélas, n'a pas de sens. Ne te tue pas à cette tâche, c'est un conseil. Elle sera vaine... de toute façon.

- Tu veux dire que avant, tu étais un adulte, comme moi?...

- Oui, un adulte, c'est exactement ça, oui. Un adulte.

- Comment...?

- ...J'étais un adulte en dehors, mais un enfant à l'intérieur, comme toi, parce que, dans le fond, comme toi aujourd'hui, nous ignorions tout du monde d'ici. Alors comme toi dans quelques pas, nous avons demandé à l'Envie – la seule personne à être sensée ici – ce qui se passait. Nous lui avons tous demandé, un jour ou l'autre, de nous expliquer...

- et?...

- ... et, à moi, elle m'a dit que je ne comprenais pas parce que je m'étais tué à une tâche sans en comprendre le sens. La cause et la conséquence. Elle nous a tous dit de nous ouvrire à ce monde et que, ainsi, nous pourrions voir qu'il n'a pas besoin de nous ou que, au mieux, nous pourrions le changer de l'intérieur.

Je lui ai demandé de m'apprendre ce monde, de me l'expliquer... elle m'a dit que c'était là le travail de tout une vie, et que maintenant j'étais trop vieux.

- C'est pour ça...

- Je lui ai donc demandé de me faire devenir enfant, comme eux, comme les autres, afin de recommencer mon apprentissage ici, pour, cette fois, devenir un adulte dans la tête...

- Devenir adulte voudrait-il dire ne plus avoir d'espoir?

- C'est un bon début. Bien maigre, mais un début. Ici, l'espoir ne sert à rien. Ce monde est comme ça parce que tu le vois ainsi. Tu dois le voir à l'intérieur de toi, c'est toutes les âmes qui sont ici qui fonds se monde parce qu'elles le voient par leurs yeux. Toi, tu vois ce monde par les yeux du monde d'où tu viens. Ce monde n'est pas pareil. Il ne l'est pas...

- Mais c'est vous qui faites ce monde, pourquoi ne pas le changer, maintenant?

- Tu sais, on a appris à le connaître. Il est pure et nous, nous sommes des enfants... Nous avons commencé notre apprentissage de ce monde, et aller contre la continuité le renverserait. Nous l'avons compris, maintenant...

- Ça n'est pas ce vous vouliez?... le renverser...

- Voudrais-tu changer ton monde pour celui-ci? Nous, maintenant, sommes des enfants d'ici... et à le comprendre, nous ne voulons plus le changer. Un petit conseil: quand tu iras voir la Tentation, elle te dira de comprendre ce monde et que, ainsi, tu pourrais, et uniquement après cela, le changer... Sache que si tu le comprends, tu ne pourras plus le changer. Si tu veux vraiment le changer, reste grand, avec tes idées, mais sache aussi que, ici, tes idées sont ridicules et ne représentent rien...

- De toute façon, c'est peine perdu... Que faire?

- C'est peine perdu car tu n'as rien à faire ici...

- Aide-moi...

- Tu veux que je t'aide? ... Souviens-toi, je vais t'éclairer, souviens-toi, au début de ton chemin, l'Envie t'as dit que tu n'aurais plus d'espoir à la fin de cette route...

- J'en ai bien encore un peu, mais...

- ... Tu dois te tromper... nous y sommes."

En effet, sur le bord de la route, il y avait une pancarte sur laquelle il était écrit ceci: "Fin".

Sur ce, l'homme, content qu'il lui reste un peu d'espoir appela l'Envie:

"- a-t-il?

- Tu vois, il me reste un peu d'espoir, et nous sommes à la fin...

- Le peu d'espoir qu'il te reste ne m'inquiète pas... et puis, ton espoir a laissé place à la compréhension. Tu as compris beaucoup sur ce monde... tu ne pourras pas le changer...

- Je le ferais! Il m'en reste, et je m'en servirais pour changer ce monde!

- Ce monde, qu'a-t-il de pire que le tiens?

-... rien...

-... et malgré tout vous êtes comme ça. Vouloir changer les choses en croyant bien faire, sans vous soucier de ce qui vous entour... essayez, et réussissez, je vous le souhaite...

- Pourquoi?... Pourquoi?...

- Vous n'avez de cesse de venir en ces lieux en croyant bien faire et en voulant changer ce monde qui s'est créé grâce aux habitants d'ici... Détruisez, puisque vous le souhaitez tant... vous avez peut-être raison... le hasard d'un monde neuf vaut peut-être la tristesse et la pureté d'un monde qui a vécu au travers l'âme de ses habitants...

- Comment changer ce monde pour qu'il soit bon et beau...?

- Il faut lui parler dans votre tête... pour le changer vous même...

- Pour cela, je suppose qu'il me faudra accomplir le travail de tout une vie, que je suis trop vieux? je suppose qu'il me faut redevenir petit?

- Oui...

- Jamais.

- Et bien votre tâche ici est devenue, à l'instant, éternelle...

- Je ne pourrais plus le changer une fois petit...

- S'il vous reste un peu d'espoir...

- ... oui, je suppose..."

L'homme s'avança, dépassa la pancarte pour prendre la main de la petite fille. Il s'agenouilla, pour qu'elle lui touche le front. Dès lors, juste avant de devenir un petit garçon, il savait qu'il deviendrait comme les autres, et il n'avait plus d'espoir. Il s'était voilé la face avant d'avancer près d'elle, pour se permettre cet échec sous de faux airs de victoire prochaine. Il n'avait réellement plus d'espoir avant d'être changé en enfant, voyant qu'il était bloqué ici, dans ce monde, contre tous.

C'est la voie d'un petit garçon qui s'éleva:

"- Tu as gagné. Tu es contente... j'ai dépassé cette pancarte quand je n'avais plus d'espoir... je vais devenir comme les autres...

- Tu l'es déjà. Je suis un peu déçu... j'avais envoyé quelqu'un te prévenir afin que tu ne face pas la même erreur que les autres... je voudrais tant que se monde change. Que les gens veuillent plein de choses. Souhaitent, espèrent à perdre la raison... Mais tous, ici, comprennent ce monde.

- C'est toi qui avais envoyé le petit garçon?...

- Oui. Je te l'ai dis au début, je m'ennuie...

- Tu ne peux pas le changer, toi?...

- Je n'existe que par eux...

- Je n'ai envie que d'une seule chose maintenant: comprendre ce monde, puisque je n'ai rien d'autre à faire...

- Tu vois, la seule chose qui reste, c'est l'envie... c'est pour ça qui j'existe. Mais voilà que je suis réduis à accomplir ce qui existe déjà. Mon devoir est un néant sans fond. Un ennuis perpétuel... Même en te prévenant, tu n'as pas pu évité ce qui semble être une inéluctabilité... à hauteur d'homme, seulement. Il faut croire que tu es particulièrement faible, ou lâche... ou peureux. Mais tu as des idées,... je vais pourvoir m'amuser avec toi si tu m'oublis... Promets-moi de m'oublier...

- Promis.

- Comment t'appelles-tu?

- J'm'appelle Pierre et je veux changer ce monde, maintenant que je peux...

- Oui, tu peux... c'est bien... ça va être marrant... Oublis-moi, Pierre!"

La douce enfant s'envola, un sourire aux lèvres, dans le noir que dégageait ses yeux.

"Au revoir."Dit Pierre.

Pierre marcha sur la suite du chemin qui le conduisit à l'entrée de ce monde – une forêt sans feuilles.

Dans le bois, il entendis un bruit...

"-Bonjour!... Pierre regarda partout.

- C'est moi, la branche, qui parle...

- Bonjour... comment tu t'appelles?

- Je m'appelle Tom, et toi?

- Je m'appelle Pierre..."

Voilà pourquoi les enfants n'aiment pas grandir

Entre incompréhension et désillusion, voilà où se situent les impressions d'Elisabeth.
Elle s'est arrêtée d'évoluer l'espace d'un instant car elle essaie de comprendre.

Un brouillard d'idées parfaitement révolutionnaire est sur le point de jaillir de son cerveau sans pour autant qu'elle puisse les utiliser encore.

Elle sent un monde de ressentiments voir le jour. Un monde dont elle ignorait tout jusqu'à maintenant. Et si elle n'a pas encore la faculté de savoir que toutes ces nouvelles idées avec lesquelles on change un monde la suivront toute sa vie, elle peut dès à présent percevoir un goût étrange. Elle commence à percevoir inconsciemment qu'il se passe quelque chose dans sa tête. Une saveur semble gagner toutes les idées qu'elle a logé en elle depuis la nuit des temps, depuis son propre commencement.

L'encre a une odeur bizarre. L'encre qui écrit sur la feuille ce que personne ne pourra plus jamais effacer a cette odeur caractéristique que l'on n'oublie jamais après l'avoir senti une fois.

C'est l'odeur qu'il y a dans la tête
d'Elisabeth alors qu'elle regarde la voiture s'en aller. Et on sait tous que se goût a des pouvoirs étrange tout le reste de notre vie.

Elle suggère à son corps de répondre, tente de protester contre ces choses qui ne devraient exister, contre cette voiture qui s'en va, contre les gens et contre sa mère.
Mais son corps refuse. Comme s'il s'en moquait. Comme s'il était déjà adulte, lui.
Il lui vint une sorte d'impression curieuse.

La révolte.

La révolte de sa tête contre son propre corps - ce goût, également, on ne l'oublie jamais.
...Et contre sa mère, aussi.